La Touraine
En quête d’améliorer mes connaissances œnologiques, je me rends une semaine une à deux fois par an chez un vigneron. C’est pour cela que me voici à Ingrande de Touraine, petit village tout près de Bourgueil au Domaine des Ouches auprès de la famille Gambier. Là les deux frères, Thomas et Denis, ont repris le flambeau de la huitième génération de ce passionnant et laborieux métier. Temporairement je vous prive de la prose de ma mère, Monique, pour vous faire un petit compte rendu de l’enseignement que j’ai acquis ici et de leur manière de travailler.
Ce village est situé dans la petite appellation de Bourgueil qui comporte 1350 hectares de vignes étendues sur 6 communes. Le domaine, lui, est composé de 17 hectares en très grande majorité de Cabernet Franc.
L’ébourgeonnage.
Cette fin mai, j’arrive en pleine période de l’ébourgeonnage, taille qui consiste à éliminer certaines branches du pied de vigne. Les tiges poussent très vite (15 cm par jour) et dans tous les sens, il s’agit de couper les jets qui sont arrivés plus tardivement ou qui sont mal situés sur le pied, les futurs raisins qui pousseraient dessus arriveraient à maturité plus tard que les autres, et au moment des vendanges nous aurions des fruits moins mûrs que d’autres, ce qui risque de donner des vins « verts ». Cela sert aussi à empêcher que les grappes soient l’une sur l’autre, cela évite la pourriture et favorise l’ensoleillement des fruits. Tout cela fait diminuer le rendement ce qui est gage de qualité.
Les terroirs.
Le fleuve (la Loire) a dessiné le terroir et la nature des sols, son travail d’érosion a apporté aux différentes cuvées des goûts bien spécifiques. Le Domaine des Ouches en apporte un bon exemple.
Au nord, sur les coteaux légèrement en pente, c’est de l’argilo-calcaire qui donne des vins avec beaucoup de minéralité et des tanins bien présents, c’est le cas de la cuvée les Ouches, ce vin nécessite un vieillissement de quelques années avant d’être à son apogée, il reste un vin de très longue garde. J’ai gouté un 1989 et un 2002 qui étaient tout simplement splendides. Il faut aussi surtout ne pas oublier le 2005 qui est pour l’instant recroquevillé avec des tanins durs, mais qui, selon Thomas, va devenir exceptionnel, « un millésime qu’on ne fait qu’une fois dans une vie ».
En descendant vers la Loire, nous arrivons sur un plateau composé d’un sol de gravier, mélange de sable plus ou moins argileux et de cailloux de silex, ce type de terroir donne un breuvage plus souple dégageant des notes de fruit noir tel la cuvée « 20 ».
L’argile donne du corps, le silex et le calcaire apportent la minéralité et les tanins, et le sable de la souplesse, chaque cuvée est un mélange complexe de ces caractéristiques.
Revenir cent ans en arrière ?
Pour nous consommateurs, la culture biologique semble une manière incontournable et évidente, il en est de même pour beaucoup de viticulteurs, mais en se plongeant dans leur travail, mon avis devient plus nuancé. Tout d’abord, il faut bien se mettre dans l’idée que le travail de la vigne est un métier très éreintant pour le dos, et que les anciens étaient enchantés de voir arriver des produits chimiques qui balayaient toutes ces satanées mauvaises herbes et ces maladies destructrices en quelques pulvérisations, fini les lumbagos et le stress continuel. Hélas, depuis une décennie on se rend compte que ce n’est pas si simple, comme si toute facilité avait un côté négatif. Les engrais dénaturent le gout du terroir, les insecticides et herbicides qui polluent les sols sont cancérigènes. Alors, on est passé à la culture bio, fini d’être maitre de la nature, c’est de nouveau la nature et la météo qui règnent sur le vigneron. Les deux maladies principales de la vigne sont le mildiou et l’oïdium, pour y prévenir naturellement on doit pulvériser du cuivre et du souffre minimum tous les 15 jours par temps sec, s’il pleut un peu trop, tout se dilue et il faut recommencer, de plus la vigne à ce moment-là pousse de plusieurs feuilles par jour et toute cette nouvelle végétation n’est pas protégée et risque de contaminer le reste, il faut re-pulvériser. Et pour les mauvaises herbes sans herbicide elle pousse incessamment, il faut continuellement labourer la terre pour la maitriser. En résumé il faut passer et repasser continuellement, pour ne pas polluer et travailler naturellement. Pas polluer les sols d’accord, mais qu’en est-il de l’air avec tout ce carbone dégagé par le tracteur, et sans compter la fabrication et le cheminement du gazole qui pollue aussi. Donc, l’idéal ce serait de faire tout à l’aide d’un cheval, mais là c’est revenir cent ans en arrière et décupler le travail. Il faut bien se rendre compte aussi que passer à la culture biologique double le prix de fabrication du vin, et les petites appellations qui ne sont pas cotées comme les grands bordeaux ou bourgognes doivent, eux, faire attention à ce que le prix reste raisonnable. C’est pour toutes ces raisons que le Domaine des Ouches cultive en Bio 12 des 17 hectares de ses vignes, et utilise des désherbants pour ses vins les moins chers comme le rosé, mais en quantité raisonnable, en culture raisonnée. C’est quand même dommage que les vignobles les plus riches et qui donc ont vraiment les moyens de faire de la bio sont hélas les moins développés dans ces domaines (Champagne, Médoc).
Chinon, frère de Bourgeuil.
Profitant de la proximité de Chinon j’ai rendu visite au Domaine Bernard Baudry à Cravant-les-Coteaux, j’ai été reçu par le très sympathique et passionné Mathieu qui m’a fait goûter tous ses 2008.. Mes deux coups de cœur sont le Franc de Pied 2008 et la Croix Boissée rouge 2008. Nous avons fini par La Croix Boissée 1995 qui fut magnifique, sur de très belles notes d’épices, de terre et tabac, et une très belle longueur. Le Domaine travaille en biodynamie mais n’a pas demandé la certification car il veut garder la liberté d’agir en cas de gros problème.
Le millésime 2008.
Après avoir gouté les vins de ces deux domaines ,je définirais le millésime 2008 comme une année caractérisée par une très belle acidité et une minéralité qui titille le palais, elle donne envie de boire et reboire avec ou sans modération suivant vos envies.